Boucar Diouf : émerveillé par le monde vivant
Par Karina Durand, collaboratrice spéciale
Il nous raconte depuis deux décennies des histoires originales qui nous amusent, qui nous touchent et qui nous font réfléchir. C’est un artiste brillant, couronné de succès et de récompenses prestigieuses, mais c’est aussi un biologiste respecté de la communauté scientifique. Son amour de la nature n’a d’égal que son talent pour la poésie des mots.
Rencontre avec celui qui se définit simplement comme un raconteur d’histoires, le magnifique Boucar Diouf.
Petit Boucar dans la savane africaine
Sénégalais d’origine, Boucar Diouf arrive au Québec en 1991, pour y entreprendre un doctorat en océanographie à l’Université du Québec à Rimouski. Il obtient son diplôme en 1998 et devient ensuite professeur au département de biologie de la même université. C’est à travers son rôle d’enseignant des sciences que Boucar comprend à quel point l’humour est un outil pédagogique puissant. Immigrant, il réalise rapidement que le rire permet aussi de connecter avec les gens, de tisser des liens entre les cultures et de s’intégrer doucement dans son pays d'accueil.
Doté d’un talent unique pour captiver son auditoire, Boucar raconte des histoires depuis toujours. C’est autour de chez lui, dans la savane africaine, que son art s’est développé. Ses parents étaient agriculteurs : son père cultivait l’arachide et élevait des zébus, des moutons et des chèvres. C’est dans cet environnement que le petit Boucar a rencontré son tout premier public : les arbres et les animaux.
« Jusqu’à 17 ans, confie-t-il, j’étais quelqu’un de très contemplatif. Je pouvais observer les hérons et les pique-boeufs pendant des heures et je parlais aux baobabs. J’ai grandi dans un milieu très sauvage, sans électricité ni eau courante, entouré de nature. C’est de là que me viennent à la fois ma créativité et mon amour du monde vivant. »
Aujourd’hui, la nature joue un rôle central dans la vie de Boucar. C’est pour lui à la fois une source d’inspiration, de recueillement et de bien-être. Il affirme même en avoir besoin pour rester en bonne santé et garder son équilibre.
« Mes parents travaillaient la terre. Quand mon père partait au champ, il disait qu’il s’en allait se soigner dans la brousse. La nature, c’était la thérapie de mon père, et c’est devenu la mienne aussi. Quand j’entends les oiseaux chanter, dit-il, je suis heureux. »
Fasciné par le monde vivant
Humoriste prolifique, acclamé de son public et de la critique, au cours des quinze dernières années, Boucar a présenté quatre grands spectacles partout au Québec et dans la francophonie canadienne. Mais avant d’être un humoriste, Boucar Diouf est un scientifique. Biologiste de formation, il s’est intéressé d’abord aux végétaux, pour se diriger ensuite vers les sciences de la mer.
C’est la lecture d’une histoire qui a éveillé sa curiosité pour le monde marin. Alors qu’il est enfant et qu’il n’a pas facilement accès aux livres, il tombe par hasard sur Pêcheur d'Islande, un roman de l’écrivain français Pierre Loti, paru au 19e siècle. Pierre Loti est navigateur et ses œuvres s’inspirent de ses grandes expéditions en voilier. Ce roman, devenu un classique de la littérature française, raconte les aventures des pêcheurs de morue, qui doivent affronter les périls des mers du nord à travers leurs longs voyages par bateaux. Le jeune Boucar, qui ne sait pas nager et qui ne connaît rien aux océans, est fasciné par le riche univers qui est dépeint dans ce livre. Cette fascination le suivra jusqu’à ses études doctorales en océanographie.
« Mes premières recherches ont porté sur les plantes et les arbres. Le monde marin, c’était de l’inconnu pour moi. C’est mon désir d’explorer le mystère qui m’a amené à vouloir mieux comprendre la biosphère marine », explique-t-il.
Il est vrai que les océans sont mystérieux. On dit qu’environ un quart des profondeurs océaniques de la Terre ont été cartographiées et que seulement 5 % ont réellement été étudiées. Les scientifiques ont pourtant photographié un trou noir dans l’espace, envoyé un vaisseau spatial sur le côté obscur de la Lune et on parle de plus en plus d’une mission sur Mars. Pourtant, la grande majorité des océans de notre propre planète demeurent inexplorés. Mais pourquoi donc?
D’abord, nous dit Boucar, les profondeurs sous-marines ont une visibilité très restreinte, en plus de la température de l’eau qui est extrêmement froide. Mais c’est surtout la pression dans les profondeurs qui rend toute exploration très compliquée.
Puis il y a la nature humaine, ajoute-il. L’être humain est un animal qui souffre d’une folie étrange : les idées de grandeur. Conquérir l’espace nous semble plus prestigieux que comprendre les fondements de notre propre habitat. Ce qui, du point de vue de la conservation, n’est peut-être pas une mauvaise chose, remarque-t-il.
« Malheureusement, l’être humain a tendance à détruire ce qu’il explore. Les océans sont des milieux naturels très fragiles. Peut-être vaut-il mieux entretenir le mystère et les laisser tranquilles », conclut-t-il.
Apprendre de la nature en l’observant
En plus d’avoir étudié et enseigné les sciences, Boucar Diouf est aussi vulgarisateur scientifique et auteur de nombreux ouvrages, dont plusieurs sont des best-sellers. Ouvert d’esprit et curieux, il s’intéresse à beaucoup de choses et il détient un talent remarquable pour donner envie au commun des mortels d’ouvrir ses horizons.
Son œuvre traite de questions aussi originales que pertinentes, dont la biologie des végétaux, le déclin de la faune sauvage, les bienfaits de la nature, le sens de la vie, le monde mystérieux des microbes et les histoires de sagesse africaine, entre autres. Il a le don de parler de tout, de simplifier ce qui apparaît compliqué, d’explorer même des sujets délicats sans que ce soit lourd ni malaisant.
La nature est l’un des fils conducteurs de sa plume. Dans Ce que la vie doit à la mort, Boucar se confie au sujet du décès de sa mère, mais il nous parle en même temps de la structure sociale des éléphants, où la matriarche est le pilier central de la famille. Dans Ce que la vie doit au rire, on en apprend plus sur les origines de notre sens de l’humour, sur le rôle que celui-ci a eu chez nos ancêtres et sur sa présence dans le règne animal. Dans Apprendre sur le tas, il aborde le grand tabou des matières fécales et on se surprend à découvrir avec beaucoup d’intérêt la biologie fascinante des résidus de digestion.
La nature a énormément à nous apprendre, nous dit Boucar, et c’est en l'observant de plus près qu’on réalise à quel point. Par exemple, jamais dans la forêt vous ne verrez un écureuil empiler dans sa réserve de nourriture un million de noisettes, remarque-t-il. L'écureuil va mettre de côté ce dont il a besoin pour survivre. Les végétaux coopèrent avec les champignons, avec les pollinisateurs, avec les mammifères. Cette économie de partage permet une répartition saine des ressources.
« L’humain est le seul qui a ce désir insatiable d’accumuler de grandes quantités juste pour soi et au détriment des autres. Dans la nature, aucun autre animal n’a cette obsession, explique-t-il. L’être humain est doté d’une génétique d’insatisfaction qui le pousse à vouloir toujours plus. C’est une pulsion qui est ancrée profondément en nous et qui a servi à notre évolution. Mais il faut apprendre à la dompter. »
Le modèle coopératif est au cœur de tous les écosystèmes naturels. C’est un modèle auquel nos ancêtres appartenaient et auquel il nous faudra revenir, croit-il. « De toute façon, une croissance continue dans un système aux ressources limitées, c’est impossible. »
L’importance de s’émerveiller
Grand amoureux de la nature, Boucar Diouf sensibilise le Québec depuis plus de vingt ans au respect de l’environnement, une notion qui est au cœur de ses préoccupations. S’il a fait paraître plusieurs livres jeunesse sur le sujet, ce n’est pas par hasard. Selon lui, l’éducation des enfants est l’une des clés pour former les adultes qui demain auront la responsabilité de prendre soin de la planète. À l’école, il faut parler aux jeunes d’écologie, de développement durable et du changement climatique. Mais ce qui est plus important encore que l’éducation, précise-t-il, c’est l’immersion.
Il l’affirme avec certitude : pour aimer la nature et avoir envie de la traiter avec respect, il faut d’abord la côtoyer. Il faut aller marcher en forêt, dormir à la belle étoile, observer les animaux, porter attention aux végétaux. Au-delà d’apprendre aux enfants à recycler et à faire du compostage, il faut les amener à connaître la nature et à s’en émerveiller, croit-il.
« Les enfants doivent apprendre à aimer les plantes, les araignées et les abeilles et à constater de leurs propres yeux que le monde vivant est d’une beauté extraordinaire. C’est seulement en allant dans la nature et en développant une relation avec celle-ci que cela est possible. »
Boucar nous rappelle aussi que l’être humain, qui appartient au règne animal, est une créature issue de la nature. La forêt est notre habitat naturel : elle nous nourrit, nous apaise et nous guérit depuis des millénaires. Nous sommes faits pour nous connecter avec la nature, cela est inscrit dans nos gènes. De nombreuses études scientifiques le démontrent d’ailleurs, nous en avons besoin pour être en bonne santé, d’où l’importance d’en prendre soin, puisque notre survie en dépend.

Le concept de biophilie
En 1984, l’entomologiste et biologiste Edward O. Wilson publie un livre intitulé Biophilia, dans lequel il explique que les êtres humains montrent un attrait profond et inné pour le vivant et les processus biologiques, ce qu’il appelle la « biophilie ». Selon cette théorie, connecter à la nature est un besoin instinctif des êtres humains.
En plus de la théorie de la biophilie, on doit à Edward O. Wilson le concept de biodiversité. La biodiversité désigne la variété des écosystèmes, des espèces et des gènes dans l'espace et dans le temps, ainsi que les relations et les interactions qui existent entre les organismes vivants et leurs milieux de vie.
Une voix unique
Plus qu’un simple raconteur d’histoires, Boucar Diouf est unique en son genre. Lui seul sait nous faire réfléchir sur des sujets amusants et nous faire rigoler en abordant des questions sérieuses. Il nous éduque dans la bonne humeur, éveille notre curiosité par le dialogue, et, sans jamais nous faire la morale, il nous incite à poser un regard différent sur ce qui nous entoure.
Par ses mots rieurs, sa sagesse bienveillante et son amour contagieux du monde vivant, il nous ramène doucement à l’essentiel et c’est aussi réconfortant que nécessaire.
À propos de Karina Durand
À part marcher seule en forêt, Karina aime lancer sa ligne à l’eau, lire au bout d’un quai, se baigner dans un lac quand il pleut et naviguer à la voile sur des eaux calmes la nuit. Après avoir dirigé la stratégie de contenu de la Sépaq pendant 8 ans, elle occupe maintenant un rôle de collaboratrice spéciale.